La croissance est durablement faible en Europe
La croissance s’approche du niveau 0 en Europe. Sur les deux derniers trimestres, l’Allemagne est en récession de 0,8%, la France en croissance 0, l’Italie est à +0,6%, l’Espagne est la seule rescapée avec +2%, peut-être en partie parce qu’elle est sortie du marché européen de l’électricité et de ses prix élevés. La situation de l’Allemagne est « dramatique », alerte même le ministre allemand de l’économie dans Les Echos. Pire, la croissance est durablement faible en Europe, le problème devient donc structurel.
La croissance en Chine est faible et le pays semble durablement affecté par une crise de croissance. Si les Etats-Unis semblent se porter mieux, la croissance est obtenue grâce à un déficit public creusé à 7% du PIB, avec des ménages américains hyper endettés et au bord du craquage financier.
L’angoisse devant le déficit et la dette publique monte en Europe.
La dette publique atteint des niveaux dangereux.
Le risque est grand qu’une Europe dogmatique commette les mêmes erreurs qu’en 2011-2013.
L’Allemagne vient de faire un plan d’économie de 17 milliards d’euros pour 2024, la France de 16 milliards d’euros (la coupe de 10 milliards d’euros dans les dépenses publiques et la hausse des taxes sur l’électricité de 6 milliards d’euros du 1er février 2024). Les règles de contrainte budgétaire de l’UE légèrement modifiée s’appliquent à nouveau à 12 Etats en « déficit excessif ». L’Italie grevé par un déficit public de 5% du PIB et d’une dette publique de 144% du PIB devra aussi faire un effort. Cette demande de Bruxelles de couper dans les déficits, au moment où la récession est proche, est d’autant plus étonnante que le budget de l’UE a été augmenté début février de 65 milliards d’euros, dont 10 milliards d’euros pour les migrants et 50 milliards pour l’Ukraine. Macron a accordé 3 milliards d’euros à l’Ukraine tout en demandant des économies de 10 milliards d’euros aux Français. Tout est toujours payé par les nationaux en faveur de l’étranger : c’est la marque de la politique européenne.
Faire des coupes dans les dépenses publiques au moment où l’économie européenne flirte avec la récession risque de faire plonger les européens pays dans la récession : ces dépenses sont utilisées pour payer des fonctionnaires qui ensuite consomment dans leurs pays ou pour commander à des entreprises privées ce qui crée inévitablement de la richesse. Ces baisses de dépenses publiques seront autant de PIB en moins pour les pays de l’UE, et donc autant de recettes fiscales en moins pour les pays. Cela nous rappelle le douloureux épisode de la crise européenne de 2011 à 2013 où les politiques austéritaires ont fait plonger en récession violente tout le sud de l’Europe, faisant baisser les recettes fiscales des Etats et aggravant le déficit et la dette publique dans un cercle vicieux. Bien entendu, 10 ans plus tard, la mémoire de ces évènements subsiste à Bruxelles et la rigueur est moins radicale. Cependant, les mêmes causes idéologiques risquent d’avoir les mêmes effets concrets.
Les autres conséquences des coupes dans les dépenses de l’Etat sont connus : cela signifie moins de fonctionnaires alors même que l’hôpital public, la police, la justice, l’enseignement fonctionnent de manière de plus en plus dégradée à cause de l’insuffisance de personnel correctement payé et traité, tout cela étant dû à la rigueur passée. La destruction des services publics risque bien de continuer.
Rappel de la grande récession de l’Europe du Sud en 2011-2013 déclenchée par les politiques d’austérité européennes.
Quel est le véritable problème de l’Occident ?
Les déficits publics sont importants en Occident. Ils sont dus nous le verrons à une insuffisance de croissance et non une gabegie de dépenses publiques. Empilés depuis 50 ans, ces déficits fabriquent une dette publique très élevée (110% du PIB en France, 123% du PIB aux Etats-Unis, 144% du PIB en Italie).
La montée en flèche de l’endettement en Occident accompagne les politiques néolibérales.
Le fabriqué en Europe est sans cesse menacé par les importations dues au libre-échange, les délocalisations d’usines. Les Etats européens tentent d’augmenter la compétitivité des entreprises en baissant les charges à coup de dizaines de milliards d’euros. Cela creuse sans cesse le déficit public. Comme la croissance est faible, des plans de relance réguliers sont maintenant adoptés pour échapper à l’atonie générale. Cela creuse encore le déficit public. Les Etats européens et les Etats-Unis se sont ainsi placés dans un cercle vicieux d’endettement et d’appauvrissement. La croissance moyenne ne fait que baisser. De 3 à 4% par an dans les années 70, la croissance en Europe est passée en dessous de 1% depuis quelques années. Protégeant mieux leur industrie, les Etats-Unis surnagent avec une croissance de 2% par an.
Destruction de l’industrie et baisse de productivité
Le véritable problème, c’est la destruction lente de l’industrie occidentale.
Après avoir fortement baissé, la production industrielle est maintenant étale en Espagne, Italie, France et Royaume-Uni. Elle plonge de 15% en Allemagne depuis 2017. La production de l’industrie a certes tenu aux Etats-Unis mais relativement au PIB, elle est de plus en plus petite et ne peut soutenir la croissance de tout le pays. Comme le dit justement Emmanuel Todd, le PIB américain est devenu gazeux. Il tient par la montée de la dépense par endettement, des myriades de services qui ne servent pas à grand-chose et la production importée de l’étranger. Le problème pour les Etats occidentaux est le suivant : l’industrie est le seul secteur qui permet d’avoir des gains de productivité constants, de produire plus pour chaque personne employée, et donc d’obtenir une croissance de la richesse produite, du PIB.
L’industrie se porte mal car l’Occident n’en a cure : la hausse du prix de l’énergie en Europe est une catastrophe pour l’industrie (Sanctions contre la Russie et marché européen de l’électricité), les accords de libre-échange favorisent les délocalisations d’usines et l’importation de biens, la financiarisation abîme les entreprises de l’intérieur (voire la partie 2 de cet article, à suivre), l’absence de stratégie industrielle et de planification par l’Etat empêche tout rebond de l’industrie.
La baisse de la production industrielle est la raison pour laquelle fleurissent nombre d’articles articles de presse sur la mystérieuse baisse de la productivité en France, au Royaume-Uni etc.
Ainsi, le PIB par emploi baisse en France, la productivité par tête baisse.
Quand la productivité baisse, le PIB par emploi donc la richesse générée par emploi baisse et le niveau de vie de la population baisse forcément. La baisse de la productivité permet aussi à l’inflation de s’envoler par bouffée, puisque les prix ne sont plus écrasés structurellement par la baisse de la productivité. C’est le signe de la fin du cycle long économique, d’un modèle économique qui déraille.
Avec des politiques économiques dogmatiques issues des années 80, l’Occident arrive ainsi simultanément à détruire sa croissance et son industrie, à faire augmenter sa dette publique jusqu’à des niveaux insoutenables, à détruire ses services publics et à appauvrir les classes populaires et moyennes.
Un autre futur est possible
Le capitalisme financiarisé et mondialisé, compagnon de l’appauvrissement de l’Occident, doit être remisé au placard au bénéfice d’un capitalisme régulé et industriel, compagnon de la prospérité des pays. Le jour où l’Occident l’aura compris, nombre de problèmes pourront enfin être réglés. Concernant la France, cela passe évidemment par la sortie de l’Union Européenne dont les dogmes sur les « bienfaits » du libre-échange et contre l’Etat stratège, la planification et toute aide d’Etat sont bien connus. L’Union Européenne et sa cohorte de médiocres politiques européistes qui accompagne sa construction est le problème, elle n’est pas la solution.
Finissons par une note d’espoir : avec un bon modèle économique, une dette publique importante diminuera fortement comme cela a été le cas après-guerre. De 200% du PIB en 1945, la dette publique de la France a reculé jusqu’au niveau de 7% du PIB en 1973 grâce au capitalisme régulé et planifié des trente glorieuses. Finance règlementée, Etat stratège, planification et politique économique axée sur le développement de l’industrie en sont les recettes.
Le déficit public et la dette publique ne forment pas une mâchoire qui nous broiera inéluctablement, d’autres choix sont possibles. Les trente glorieuses ne sont pas un miracle tombé du ciel, elles sont dues à l’intelligence d’une génération de décideurs dont nous devons nous inspirer. Si nos pays aujourd’hui riches ne retrouveront pas la croissance échevelée de 4 à 5% de l’après-guerre, une croissance élevée entre 2 et 3% est possible. Elle permettra de résoudre nombre de problèmes apparus depuis 50 ans : retraite, emploi, réduction des inégalités, services publics de qualité, ressources suffisantes pour réaliser la transition écologique et pacification politique du pays.
Graphique sur 100 ans de la dette publique en France.