Le contexte de la guerre
Les élections européennes ont offert un joli score à la Ligue de Matteo Salvini. Cependant, du fait de l’affaiblissement de son allié, le parti M5S, le soutien à la coalition au pouvoir s’érode. Il reste encore raisonnable à 58% si on inclut le parti Frères d’Italie.
Matteo Salvini parle haut, il redonne de la fierté à son peuple en exaltant sa fibre patriotique. Il demande que l’on « s’occupe des nôtres avant les autres » et prend des mesures pour cela. Il a fortement réduit l’immigration clandestine comme le demandaient les Italiens même si le travail avait déjà commencé avant lui. L’immigration légale, essentiellement familiale, continue comme l’impose l’application des Directives Européennes.
Mais les Italiens ont aussi besoin de survivre et donc d’une économie en croissance. N’oublions pas que ce pays a connu depuis 2008 une baisse d’environ 10% de la richesse par habitant (PIB par habitant).
Or, la hausse des dépenses publiques décidées par la coalition au pouvoir en Italie en Décembre 2018 n’a pas suffi à empêcher l’Italie d’entrer en récession. L’économie italienne était et reste l’économie la plus faible des grands pays d’Europe. Cette faiblesse de l’économie, prévisible (cf article de Septembre 2018[1]), érode de façon logique le soutien à la coalition au pouvoir.
La stratégie économique de Salvini : stopper la récession en augmentant le déficit budgétaire
Dès lors, Salvini ne pouvant jouer sur les leviers multiples de l’Etat stratège pour relancer son économie (dévaluation légitime de sa monnaie, grands travaux, priorité au made in Italie dans les marchés publics et la consommation…) ne peut relancer l’économie italienne que par le déficit budgétaire. C’est ce qu’il a dit fin mai haut et fort : il veut relancer l’économie notamment en baissant les impôts avec une “flat tax”, c’est-à-dire un impôt à taux unique qui remplacerait le système actuel. “Nous avons besoin d’une cure de Trump, d’une cure d’Orban, d’un choc fiscal pour redémarrer le pays”, a t-il déclaré mardi 28 mai sur la radio lombarde RTL Italie.
Cela ne sera sans doute pas suffisant pour assurer une croissance forte mais Salvini n’a que cet outil dans les mains et il est obligé de l’utiliser pour empêcher le pays et lui avec de sombrer. Problème : le déficit budgétaire italien devrait atteindre 2,5% en 2019 et 3,5% en 2020 sans cette mesure à 20 Milliards d’euros.
Cette stratégie économique est en même temps une stratégie politique d’opposition à Bruxelles. La question que l’on se pose : est-ce une stratégie pour gagner du temps en soulageant l’économie italienne, une escarmouche pour faire porter la faute d’un futur échec à Bruxelles ou Salvini est-il décidé à démontrer par tous les moyens aux Italiens que : l’UE interdit la survie économique des Italiens, ne peut pas être changée et ultimement qu’il faut sortir à minima de l’euro, enfin qu’il le fera si nécessaire. Connaissant la sincérité des économistes et parlementaires à ses côtés, Bagnai et Borghi, on peut penser qu’il s’agit d’une stratégie politique d’opposition à Bruxelles pour in fine sortir de l’euro. Ira-t-il au bout de sa logique, personne ne le sait.
La « Constitution économique » de l’Union Européenne interdisant cette mesure pour un pays dont la dette est à 130% du PIB, la Commission Européenne a répliqué en lançant une procédure disciplinaire de déficit excessif qui se solderait par une amende de 3,5 milliards d’euros pour l’Italie. Une mesure revenant à attacher un boulet de plus à une Italie en difficulté.
La Bataille d’Italie est lancée.
La réplique de Salvini a fusé. Le Parlement italien a voté pour la possibilité de lancer et d’utiliser
une monnaie parallèle appelée miniBot : il s’agit de bons du trésor italien qui pourront être remis
aux entreprises comme paiement des arriérés de l’Etat. Imprimés ou sous forme électronique, ils pourront être échangés et seront en fait une monnaie parallèle. Jacques Sapir et d’autres ont très bien décrit ce qu’est cette monnaie et les mécanismes pour amplifier son utilisation dans l’économie italienne[2].
L’Union Européenne a réagi en disant qu’elle n’était pas pressée : la procédure de déficit excessif se languira jusqu’en 2020 au minimum.
Voici la trame de cette guerre politico-médiatique
Les Italiens ne sont aujourd’hui pas du tout prêts à sortir de l’euro malgré ses méfaits pour leur situation économique personnelle (Environ 40% trouvent que l’euro n’est pas une bonne chose. Le pourcentage de ceux qui veulent sortir est encore plus faible). Salvini n’a pas de choix simple pour sauver l’Italie.
Il doit agir rapidement pour relancer la croissance et ne pas couler dans les sondages, et en même temps montrer au peuple italien que l’UE est responsable de ses malheurs en l’obligeant à se positionner, à se dévoiler.
La possibilité d’émettre des miniBots est la bonne solution : cette monnaie parallèle lui permettra de réaliser la baisse d’impôts prévue, de relancer la croissance tout en entamant l’affrontement avec l’UE. Il doit frapper fort pour provoquer l’UE et l’obliger à dévoiler qu’elle refuse cette stratégie de survie économique offerte au peuple italien.
Inversement, l’UE doit faire la patiente, faire mine d’être gentille et de ne pas être un obstacle à la
survie économique des Italiens pour rejeter la faute sur Salvini en l’accusant d’irresponsabilité économique. En réalité, l’UE est prête à resserrer le nœud coulant sur l’économie italienne au fur et à mesure que cela est nécessaire, pour que le gouvernement italien échoue et soit remplacé par des européistes bon teint.
C’est la stratégie du boa : l’étranglement progressif. Le buffle italien y échappera-t-il ? Tout dépendra de son courage, de sa détermination, de son organisation et de sa rapidité d’exécution : en un mot de son talent au combat.
Les armes du buffle italien :
– une nouvelle monnaie, les miniBots, permettant de baisser les impôts, de mettre en place d’autres mesures fortes pour relancer l’économie italienne.
– transférer le financement de l’économie italienne de l’euro aux miniBots pour que le financement soit abondant.
– le bon sens : relancer la croissance pour améliorer le sort du peuple italien contre une UE qui réclame de baisser les dépenses budgétaires quand l’économie est en récession.
– le risque d’auto destruction de l’UE : si l’UE va trop loin, la faillite des banques italiennes pourraient enfoncer toute l’UE dans une crise bancaire, financière, économique et politique.
– les Etats-Unis seront discrètement dans le camp du gouvernement italien.
Les armes du boa européen :
– le temps : le temps joue à priori pour lui car l’économie italienne, provisoirement portée par l’économie mondiale, est en train de s’enfoncer avec l’érosion de la croissance mondiale.
– étrangler l’économie italienne en distillant la peur sur les marchés financiers pour faire monter le coût de financement de la dette italienne et des dettes en général.
– si c’est insuffisant, se débrouiller comme en Grèce en 2014 pour couper le financement des banques italiennes en euros (contrôlés par la BCE) pour asphyxier l’économie italienne.
– utiliser les élites européistes italiennes dont le président Mattarela pour qu’il bloque juridiquement Salvini et l’empêche d’agir.
– ultimement faire peur aux Italiens pour qu’ils virent Salvini et la coalition au pouvoir.
Dans ce combat, le buffle italien doit agir vite alors que le boa européiste a intérêt à prendre
son temps pour étouffer lentement mais surement son adversaire, sans que les imaginations ne soient frappées.
C’est pour cela que le buffle doit mettre en place rapidement la baisse promise des impôts et la monnaie parallèle pour relancer l’économie. Si le boa européiste réplique en asphyxiant l’économie, le buffle devra répliquer rapidement. Il doit donc préparer dès maintenant l’étape d’après pour se libérer de l’étranglement avant qu’il ne soit asphyxié et terrassé.
Le système de financement avec la monnaie parallèle doit être intégralement prêt et efficace: cela signifie qu’il faut préparer un circuit de paiement et de financement alternatif à l’euro avec des comptes bancaires, des prêts en miniBot et une banque d’Italie, une banque centrale des miniBots.
Les banques doivent pouvoir ouvrir un deuxième compte bancaire en monnaie parallèle à tous les acteurs de l’économie rapidement. (On ne peut pas imaginer créer assez rapidement des institutions ad hoc pour l’action. On ne peut non plus imaginer que l’économie italienne ne fonctionne que sur une monnaie parallèle en billets et pièces.) Grâce au 2ème compte bancaire, des crédits, des paiements pourront être réalisés en monnaie parallèle rapidement, permettant à l’économie de continuer à fonctionner. Les banques pourront elles-mêmes se refinancer en empruntant auprès de « la banque centrale de la monnaie parallèle », le trésor public ou une émanation du Trésor. Cette deuxième Banque Centrale doit être prête à refinancer les banques italiennes.
Ainsi, en cas d’asphyxie financière progressive sur l’euro par l’Union Européenne, l’économie italienne se financera et fonctionnera de plus en plus avec la monnaie parallèle. La monnaie potentiellement la plus forte, l’euro, sera naturellement utilisée comme réserves de valeur, épargnée par les ménages.
Conclusion de la bataille
Il ne restera plus qu’à constater auprès de l’opinion publique l’acte de guerre de l’UE contre l’économie italienne et d’acter que l’Italie a recréé une monnaie et est sortie de l’euro avec probablement les applaudissements du peuple italien. La monnaie parallèle prendra le nom de lire. Les euros conservés par les Italiens seront transformés en lire au taux de une lire pour un euro. La lire flottera contre l’euro. On remarque qu’il ne faut pas établir de cours de change monnaie parallèle/euro avant cette date, sinon la situation finale devient compliquée, chacun demandant à bénéficier d’un cours de change favorable pour le change de ses euros au moment de la sortie. Chaque bien doit pouvoir se vendre au même prix en euro ou en monnaie parallèle. Ceux qui le voudront établiront un marché noir ou s’échangeront des euros contre la monnaie parallèle mais le gouvernement ne doit pas l’officialiser en créant un tel marché.
Il y aura évidemment beaucoup de péripéties et d’embûches politiques, de tactique et de manœuvres à engager. Mais une stratégie réussie ne peut à mon avis pas échapper à ce schéma général et doit être conduite rapidement. Cette stratégie est bien adaptée à l’Italie, le pays de la « Combinazione », il n’est probablement pas adapté à la France. Elle nécessite cependant une volonté et une extrême organisation du pouvoir italien pour y arriver. Espérons que Salvini a réellement ce projet en tête sinon il sera soit expulsé du gouvernement comme l’a été Berlusconi par l’Union Européenne en 2011, soit deviendra un nouveau Tsipras, chargé de faire avaler une potion amère aux Italiens.
Etre un héros, périr ou devenir un traître, il n’y a pas d’autres alternatives en ces temps de guerre économique contre le peuple italien.
[1] « Tant qu’on n’a pas récupéré la souveraineté, on ne peut pas redresser un pays »
[2] Jacques Sapir : “L’objectif du gouvernement italien est de créer une monnaie parallèle à l’euro” https://www.marianne.net/economie/jacques-sapir-l-objectif-du-gouvernement-italien-est-de-creer-une-monnaie-parallele-l-euro